Le cerveau humain possède 100 milliards de neurones, et plus encore de cellules gliales. Rien n'est plus puissant, rappelle Aberkane.
Par Idriss J. Aberkane*
Le cerveau humain, plus puissant que l'ordinateur. © SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA
Si quelqu’un vous dit qu’il a mis au point un ordinateur plus puissant que le cerveau humain… doutez ! En effet, nous en sommes encore loin. Pensez donc : nous sommes incapables de modéliser in silico un litre d’eau dans son exacte complexité, alors le cerveau humain… Une puce d’iPhone 6 contient environ deux milliards de transistors. Le cerveau humain possède 100 milliards de neurones, et plus encore de cellules gliales. Or un neurone est à un transistor ce qu’une carte perforée est au supercalculateur Watson.
L’unité de calcul standard des neurosciences est la synapse, la jonction électrochimique entre deux cellules nerveuses, et cette synapse est largement plus compliquée et performante qu’un transistor ou même qu’un memristor, cette nouvelle unité fondamentale des circuits électriques, découverte récemment, et qui ressemble d’ailleurs aux synapses. Or notre cerveau recèle, au bas mot, cent mille milliards de synapses. Donc, même en assimilant un transistor à une synapse, notre cerveau représenterait neuf mille puces de dernière génération Intel Xéon à 18 coeurs chacune, sans parler encore de sa plasticité physique, de son autoréparation, et de son immunité.
"L’imagination vous emmène partout"
Le codage de la connaissance, qu’elle soit conceptuelle - comme savoir qui a peint la Joconde - ou procédurale - comme savoir faire du vélo -, fait intervenir non pas le neurone mais le groupe de neurones, de même que l’avancement technologique humain fait intervenir non pas l’individu mais le groupe et la population. Au sens strict donc, l’ensemble des connaissances humaines possibles n’est pas inscrit dans l’ensemble de nos neurones, mais dans l’ensemble de ses parties, colossalement plus vaste.
La totalité des populations de neurones cérébraux possible est de 1 suivi de 3 027 zéros… Il n’est certes pas matériellement possible à la boîte crânienne d’abriter une telle quantité de connexions filaires à la fois, mais on peut s’amuser librement à imaginer, comme le grand physicien Roger Penrose, une connexion biologique sans fil entre des neurones. On en aura peut-être la confirmation ou l’infirmation grâce aux neurosciences d’ici à la fin du XXIe siècle. Après tout, comme on dit, « la logique vous emmène de A à B, l’imagination vous emmène partout » (1).
Beauté fondamentale
Une des beautés fondamentales du cerveau est son intelligence, dans le sens latin inter-ligere, c’est-à-dire faire des liens distants, ce que l’on appelle aussi complexité. Le cerveau est fait du tissu le plus complexe du corps humain. S’il contient moins de matière que l’univers, il est organisé en parties, et, en mathématiques, l’ensemble des parties d’un ensemble est un objet bien plus grand que l’ensemble de départ.
Si le corps est une inscription dans l’eau (proverbe tamoul), notre intelligence est une inscription dans ces microbulles que sont les neurones et les cellules gliales. Même si elle est matériellement inférieure à ce fascinant aquarium des possibles, elle s’insère dans l’ensemble des parties neuronales, voire synaptiques, du cerveau humain. Et cet ensemble a des milliards de milliards de milliards (etc.) de fois plus d’éléments que le cube de toutes les particules de l’univers connu…
(1) faussement attribué à Einstein* Idriss J. Aberkane est professeur en géopolitique et économie de la connaissance à l'École Centrale et chercheur à l'université de Stanford et au CNRS
source : lepoint.fr