Comme il est étrange de qualifier de 6e sens la proprioception ! Il faudrait parler plutôt de 1er sens. Sans elle, nous ne pourrions pas nous mouvoir, nous situer dans l’espace, ressentir notre propre corps. Bref, nous ne serions capables de pas grand-chose.
Quelle définition pour la proprioception ?
Vous êtes en ce moment même en train de lire cet article, assis tranquillement face à un écran d’ordinateur ou bien debout, le smartphone à la main, dans une rame de métro. Vous connaissez de manière implicite la position exacte de vos pieds sous la table, l’inclinaison de votre buste, ou bien, vous ressentez vos efforts inconscients pour rester en équilibre quand le train arrivant à la station suivante amorce son freinage. Par quels mécanismes arrivez-vous à marcher sans regarder vos pieds, à dansez, écrire, vous saisir de tout petits objets, y compris les yeux fermés ?
Toutes ces informations et actions sont possibles pour notre cerveau, grâce à la proprioception, l’un de nos sens le moins connu, et pourtant l’un des plus importants. Nous avons ainsi la capacité de connaître à tout instant notre position dans l’espace ainsi que de nous sentir à l’intérieur de notre corps. Et cette capacité se construit grâce au dialogue incessant entre nos systèmes nerveux central et périphérique.
La proprioception est assurée par des récepteurs sensoriels appelés propriocepteurs. Ceux-ci sont présents dans tous nos muscles, notre peau, nos tendons et nos ligaments. Nos muscles oculaires, nos plantes des pieds en sont particulièrement riches. Imaginez de petits ressorts à l’intérieur de nos muscles qui renseignent constamment notre cerveau sur l’état de tension de ceux-ci. Ces capteurs sensoriels multiples font partie de ce que l’on appelle le système nerveux périphérique.
Les informations collectées par ces millions de capteurs s’ajoutent à celles qui sont engrangées par notre vision et notre système vestibulaire, autrement dit notre sens de l’équilibre. Autre repère incontournable pour notre cerveau : la gravité. Nous avons acquis depuis la petite enfance la certitude que les objets tombaient toujours dans la même direction. Et avec notre sens de l’équilibre, nous savons spontanément ce qui est vertical ou pas. Notre cerveau combine précisément toutes ces informations, intérieures, extérieures, pour dresser ce que l’on appelle un schéma corporel.
Un schéma corporel qui se construit tout au long de la vie
Le schéma corporel est la représentation mentale et sensorielle de notre anatomie, une espèce d’outil de géolocalisation en 3D de notre corps, de sa corpulence, de sa place dans un espace donné. Il nous permet de bouger avec précision, d’anticiper avant d’agir et de savoir où commence et où finit notre corps.
Il faut préciser que ce schéma corporel se construit petit à petit au cours de notre vie, et qu’il est en perpétuelle évolution. A la naissance, ce schéma est très pauvre, quasi inexistant. Le nourrisson n’est pas capable de faire la différence entre le soi et le vaste monde. C’est la répétition de gestes et d’expériences très variés qui va permettre à l'enfant de construire peu à peu la carte mentale de son corps.
L’adolescence est un autre moment clé de cette construction, en plus accélérée. Avec la puberté, le corps grandit, s’étoffe, se couvre d’une pilosité. Avec ces bouleversements, la myriade d’informations proprioceptives dresse une nouvelle carte corporelle. La multiplication de nouvelles expériences (sports, sexualité, prises de risque), soit autant d’explorations du monde ou de soi apporte un degré de précision inégalée à cette carte.
A l’âge adulte, le schéma corporel est mature, mais toujours soumis à une évolution. Face à une nouvelle expérience, une nouvelle pratique sportive ou encore une prise de poids, par exemple, la proprioception change. Si un accident nous prive de mobilité, elle peut perdre en finesse, si bien qu’une rééducation sera parfois nécessaire pour restaurer la proprioception qui renvoie à la partie du corps endommagée. Le schéma se métamorphose encore et toujours.
Sans proprioception que se passe-t-il ?
L’absence ou la perte partielle ou totale de la proprioception a un impact terrible sur la motricité. Le témoignage de Ginette permet de s'en rendre compte. Cette Canadienne est déafférentée, ce qui signifie qu'elle a perdu toute sensibilité sur le corps à l'exception de la tête, probablement à la suite d’une réaction auto-immune. Elle raconte ses difficultés quotidiennes devant la caméra du documentariste Vincent Amouroux. Tant qu’elle peut contrôler du regard ses gestes, Ginette peut, en se concentrant, se saisir de petits objets, un verre, par exemple, et en boire le contenu. Mais sa dextérité manuelle déjà hésitante disparaît totalement, une fois les yeux bandés. En essayant de signer son nom, son bras dérive au-dessus de la table, incapable de se poser sur la feuille, et esquisse dans le vide la formation d’une lettre. Elle dit se sentir flotter. Elle semble expérimenter ce qu'un astronaute en apesanteur peut vivre quand il échappe à de la gravité terrestre. Le site Sensoridys, du nom de l'association de patients souffrant d’une dysfonction proprioceptive, propose un extrait de vidéo pour illustrer le quotidien d’une patiente atteinte de déafférentation.
Mais hormis ce cas extrême, les syndromes de dysfonction proprioceptive (SDP) ou de dysperception proprioceptive sont très difficiles à repérer. Selon l’association Sensoridys, avant que les diagnostics ne soient posés, le parcours médical des patients qui en souffrent est "long et chaotique". "Un praticien ne peut envisager un SDP que s’il trouve des atteintes, à des degrés divers selon les patients, dans les trois domaines où intervient la proprioception : la régulation du tonus postural, la localisation spatiale sensorielle et la perception multisensorielle", explique en préambule l’association sur son site.
Physiologie de la proprioception
Les mécanismes fins de la proprioception restent encore assez mystérieux pour les chercheurs. Mais certains ont identifié une variété de propriorécepteurs et le gène codant la protéine sensible à la pression physique baptisée Piezo2. Une équipe scientifique américaine a étudié en 2016 les réactions de deux jeunes filles dont les mutations du gène en question ne permettaient pas à leur cerveau de percevoir complètement la place de leur corps dans l'espace. Elles sont incapables de poser leur doigt sur le nez ou encore de marcher en ayant les yeux fermés.
Une dizaine d’années plus tôt, les récepteurs Piezo1 et Piezo2 avaient été découverts par Ardem Patapoutian, lequel a été récompensé par un Prix Nobel de médecine en 2021.
Comment affuter notre précision proprioceptive ?
Avis aux sédentaires ! Pour une proprioception fine, il faut bouger, de manière générale, rester actif le plus longtemps et le plus souvent. Si on connaît de mieux en mieux les effets bénéfiques du sport sur la santé en général, la neurogénèse, et la mémoire, Il faut aussi garder à l’esprit qu’il est également bénéfique pour notre proprioception et l’"entretien" de notre schéma corporel. La chercheuse en neurosciences Christine Assaiante conseille de rester actif le plus longtemps possible, de pratiquer un exercice physique en groupe, "de ne pas isoler le sensori-moteur du social [et] de l’affectif".
Les végétaux aussi !
Les végétaux sont également dotés de proprioception. Les chercheurs en biomécanique des plantes savait que celles-ci s’adaptaient déjà à la gravité, ce qui leur permet de pousser droit. On découvre depuis peu qu’elles perçoivent leur posture par rapport à la force gravitationnelle et la corrigent si nécessaire. Un arbre courbé par le vent recourt à la proprioception pour se redresser.
source : science et avenir
PS : à quand l'équilibrioception, la termoception