Les neuroscientifiques de l'Université Toulouse III - Paul Sabatier et du CNRS révèlent que la dopamine joue un rôle clé dans la sélection des souvenirs, ouvrant ainsi la voie à une meilleure compréhension des troubles cognitifs tels que la maladie de Parkinson.
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi certains événements restent gravés dans votre mémoire, tandis que d'autres s'effacent ? Bien que les mécanismes d'apprentissage et de mémorisation soient bien documentés dans la littérature scientifique, une question essentielle demeure : comment sélectionnons-nous les événements à retenir ?
Les neuroscientifiques de l'Université Toulouse III - Paul Sabatier et du CNRS se sont attelés à résoudre cette énigme. Dans une étude, publiée le 21 mai 2024 dans la revue Nature Communications, ils révèlent que la dopamine joue un rôle crucial dans ce processus de sélection.
L'hippocampe, centre de la formation et de la consolidation des souvenirs
Dans le cerveau, les neurones peuvent ajuster leurs connexions en réponse à l'expérience. Chez les mammifères, la formation de souvenirs implique ces ajustements dans l'hippocampe, une structure cruciale pour la mémoire et la navigation spatiale, située dans le lobe temporal. Lorsqu'un événement survient, des signaux électriques et chimiques parcourent les réseaux de neurones de l'hippocampe, activant des voies synaptiques spécifiques, les connexions entre les neurones, où la plasticité synaptique joue un rôle clé.
La plasticité synaptique fait référence à la capacité des synapses, les points de connexion entre les neurones, à modifier leur force en réponse à l'activité neuronale. Lorsque deux neurones sont activés simultanément de manière répétée, la force de la synapse entre eux peut se renforcer, un phénomène appelé potentialisation à long terme (LTP). Cela signifie que la communication entre ces deux neurones est améliorée, facilitant ainsi la transmission de l'information.
La plasticité synaptique renforce la mémoire d'un événement spécifique
Dans le contexte de la mémoire, la plasticité synaptique dans l'hippocampe est cruciale pour l'apprentissage et la formation de nouveaux souvenirs. Lorsqu'un événement se produit, les synapses impliquées dans son traitement peuvent subir une LTP, renforçant ainsi la mémoire de cet événement spécifique. Cela permet au cerveau de sélectionner et de conserver les informations pertinentes, en renforçant les connexions synaptiques associées à des événements importants ou significatifs.
Selon les modélisations intégrant toutes les connaissances des mécanismes moléculaires et cellulaires de la plasticité synaptique, l’hippocampe devrait mémoriser chacun des événements de nos vies quotidiennes. Et pourtant, il est évident que notre mémoire ne fonctionne pas comme un ordinateur enregistrant en continu tout ce qui se produit.
La dopamine à l'origine de la formation de la mémoire
C'est précisément cette question que Lionel Dahan, maître de conférences en neurosciences à l'Université Toulouse III - Paul Sabatier et au Centre de recherches sur la cognition animale (CRCA/CBI - CNRS/UT3), et son équipe ont cherché à résoudre. Ils ont démontré que les neurones à dopamine, un neurotransmetteur impliqué dans la régulation de divers processus cérébraux tels que la motivation, la récompense et l'apprentissage, sont à l'origine de la formation de la mémoire.
"Nous avions des indices suggérant qu'un petit groupe de neurones à dopamine innerve l'hippocampe", explique Lionel Dahan, auteur de l'étude. "Mais étant donné leur faible nombre, leur existence était controversée et leur rôle supposé négligeable."
Mimer l'activité naturelle des neurones à dopamine
Pour confirmer le rôle de ces neurones, les chercheurs ont appliqué la technique de manipulation optogénétique de neurones. C’est-à-dire qu’ils ont modifié génétiquement des neurones à dopamine de souris pour qu'ils produisent une protéine sensible à la lumière. Ils ont ensuite inséré une fibre optique directement dans l'hippocampe des rongeurs, permettant ainsi d'activer ou d'inhiber les neurones modifiés. "Bien qu'artificielle, la stimulation des neurones dopaminergiques utilisée dans notre étude mime l'activité naturelle des neurones à dopamine", nous précise Lionel Dahan.
Lorsque la dopamine est libérée, cela renforce fortement et durablement la communication entre les neurones (au moins cinq heures). Pour déclencher cette plasticité synaptique, la libération de la dopamine doit se produire dans une fenêtre temporelle précise de 200 millisecondes après l'activation des synapses, des caractéristiques correspondant à celles d'un signal d'apprentissage déclenchant la formation des souvenirs.
"Nous avons ensuite utilisé des tests comportementaux pour évaluer si la dopamine dans l'hippocampe est impliquée dans la formation de nouveaux souvenirs", précise Lionel Dahan. Les souris génétiquement modifiées ont été placées dans un nouvel environnement pendant 30 secondes, une durée normalement trop courte pour qu'elles s'en souviennent le lendemain.
Cependant, en stimulant leur hippocampe pendant cette période, elles ont été capables de mémoriser l'environnement. À l'inverse, une exploration de deux minutes est habituellement suffisante pour que les souris retiennent le nouvel environnement, mais si les neurones à dopamine sont inhibés au même moment, elles ne parviennent pas à en conserver la mémoire.
Une découverte qui pourrait permettre d'expliquer l'origine de la maladie de Parkinson
Ces deux séries d'expériences montrent que les neurones à dopamine qui se connectent à l'hippocampe jouent un rôle crucial dans la plasticité synaptique et l'apprentissage. Cette découverte pourrait permettre d'expliquer l'origine de certains troubles cognitifs, comme celle de la maladie de Parkinson. "Récemment, les cliniciens ont décrit de plus en plus fréquemment des troubles cognitifs chez les patients parkinsoniens, lesquels peuvent même précéder les troubles moteurs dans certaines formes de la maladie. Notre étude montre que la dégénérescence des neurones dopaminergiques empêche la sélection des informations à mémoriser. Elle souligne l'importance de rechercher des troubles de la mémoire dans toutes les maladies neurodégénératives impliquant une dégénérescence des neurones dopaminergiques", remarque Lionel Dahan
source : scienceetavenir