Les papyrus d’Herculanum ont été si endommagés par l’éruption du Vésuve en 79 de notre ère que les spécialistes craignaient les avoir perdus à jamais. Grâce à l'intelligence artificielle (et à un million de dollars), cela vient de changer
Environ 1 800 rouleaux de papyrus, censés contenir des œuvres littéraires et philosophiques des 1er et 2e siècles avant notre ère, ont été découverts par des ouvriers qui creusaient dans la ville antique d'Herculanum, près de Pompéi, en 1752. Les parchemins, carbonisés par la chaleur et les gaz de l'éruption, avaient été réduits à l'état de masses fragiles. Ceux que les ouvriers n'ont pas jetés il y a plus de 250 ans ont été laissés depuis lors dans des réserves, considérés comme des curiosités indéchiffrables.
Les progrès technologiques réalisés au cours des deux dernières décennies ont permis aux chercheurs de se rapprocher de la possibilité de « lire » ces parchemins fragiles. Cependant, ce n'est qu'avec l'accélération toute récente de l'intelligence artificielle que l’on peut enfin commencer à percer leurs secrets, sans les ouvrirs.
« LES PARCHEMINS SONT LISIBLES »
Les nouveaux passages révélés s'appuient sur un seul mot du rouleau, « πορφύραc », que deux des trois concurrents gagnants ont révélé indépendamment en octobre. Ce mot coloré fait référence, en grec ancien, à la teinture pourpre ou aux vêtements de couleur pourpre, une couleur étroitement associée à la royauté et au pouvoir.
« Nous savions que si nous parvenions à lire un seul [parchemin], nous pourrions appliquer la même méthode, voire une méthode améliorée, à tous les autres », a déclaré en octobre Brent Seales, informaticien à l'université du Kentucky, qui tente de décoder les parchemins d'Herculanum depuis vingt ans et dirige le Digital Restoration Initiative (l'initiative de restauration numérique) de l'université. « Nous sommes en train de prouver, non seulement à nous-mêmes, mais à l'ensemble de la communauté internationale, que ces parchemins sont lisibles. »
Au fur et à mesure qu'ils progressent dans le déchiffrage des rouleaux d'Herculanum, les chercheurs pensent qu'ils trouveront de nombreuses autres réflexions épicuriennes.
Depuis le milieu du 18e siècle, plusieurs tentatives de lire certains des parchemins les moins abîmés d'Herculanum ont été faites. Une méthode consistait à couper les rouleaux en deux et à gratter les couches une à une pour voir le texte à l'intérieur, une autre était de dérouler lentement les rouleaux à l'aide d'une machine spécialement conçue à cet effet. Bien que ces efforts aux 18e et 19e siècles aient permis aux conservateurs de recopier certains mots des textes, ils ont souvent endommagé, voire totalement détruit, de nombreux parchemins au cours du processus.
Lorsque les chercheurs ont essayé d'utiliser cette méthode pour déchiffrer les parchemins carbonisés par le Vésuve, ils se sont heurtés à un autre obstacle. L'encre utilisée pour le rouleau d'Ein Gedi contenait du métal, raison pour laquelle les lettres étaient visibles sur le scanner. Les textes des parchemins d'Herculanum, en revanche, ont été écrits avec une encre à base de carbone, ce qui, pour l'œil humain, rend les symboles indiscernables du papyrus carbonisé sur les tomodensitogrammes.
UNE ÉNIGME RÉSOLUE PAR LA SCIENCE PARTICIPATIVE
En mars 2023, le Vesuvius Challenge a mis en ligne des milliers d’images en 3D des scans de deux rouleaux provenant d'Herculanum, ainsi qu'un algorithme d'apprentissage automatique capable de détecter les lettres et les symboles invisibles inscrits sur les couches de papyrus carbonisé. Afin d’inciter les participants à développer la technologie de l'IA et, en fin de compte, à accélérer le déchiffrage, un prix d’un million de dollars a été mis en jeu.
« Certains pourraient se demander pourquoi on se donne autant de mal, mais ce n’est pas comme ça que je vois les choses » affirme Seales. « Il s’agit période extraordinaire de l'histoire de l'humanité. Nous parlons d'autres œuvres de cette période. Bien sûr que je veux en voir davantage. Je veux toutes les voir. »
Cet article (nationalgeographic.fr) a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise